Visions nocturnes
L’exposition “Visions nocturnes” convoque l’obscurité autant comme expérience limite de la perception que comme territoire symbolique, par des formes qui, tout en échappant à sa représentation, tentent de donner à la nuit une visibilité.
L’obscurité est d’abord envisagée comme un état de perception ambivalent que ces artistes, au lieu de chercher à retranscrire fidèlement, préfèrent aborder par détour, voire en creux. Un dessin au pastel noir, évoquant autant des empreintes à tâtons qu’une éclipse de soleil, ouvre l’exposition : dans sa tentative de traduire un moment vécu dans un lieu donné, Spencer Finch nous invite ici à partager son expérience de l’intérieur de la grotte de Lascaux. Plus loin, devant une fenêtre, une rangée de verres d’eau teintée variablement d’encre grise joue de la différence, quasi imperceptible, entre ombres projetées “naturelles” et ombres factices.
La lumière trouve paradoxalement une place importante dans l’exposition. Au sol, une installation de Jason Dodge présente un amoncellement d’ampoules, néons, bougies et autres objets, renvoyant en creux à l’obscurité d’une maison dont a été retirée toute source lumineuse. Dans les œuvres de Dodge, qui procèdent par déplacement ou par détournement d’objets trouvés, la réduction des moyens en accentue le pouvoir d’évocation. Au mur, un cartel signale que l’un des visiteurs revient du Pôle Sud, territoire plongé dans l’obscurité totale au moment de l’exposition. Ailleurs, sur une banale boîte en carton, repose une chouette naturalisée à l’intérieur de laquelle ont été enfermés des rubis. Signe d’un passage de la mort à la vie, l’œuvre établit un retournement de l’organe de vision, comme si l’animal nocturne continuait à être doué de vision – intérieure.
Partageant cette approche dialectique où nuit et lumière coexistent, l’installation de Dominique Blais – produite pendant sa résidence à Noisy-le-Sec – est un lustre dont la lumière a été remplacée par du son. Dans un jeu de correspondances entre l’invisible et l’inaudible, la sculpture diffuse dans la pénombre les bruits résiduels enregistrés dans les moments d’inactivité de La Galerie. Telle une empreinte fantomatique du bâtiment, cette bande-son rentre en écho avec une deuxième œuvre de l’artiste dissimulée dans la cave, Distorsions spectrales.
Si elles se situent sur le seuil de la perception, les œuvres de l’exposition entendent simultanément le mot “visions” dans son double sens. Issues de projections de l’inconscient, de réminiscences, de songes ou d’hallucinations, ces formes vont jusqu’à s’apparenter à des visions qui renouent avec un vocabulaire romantique et symbolique.
Dans les peintures sur bois d’Anne-Laure Sacriste, la lumière semble avoir été absorbée par une matière sourde : de l’opacité d’un immense panneau noir affleurent les découpes d’un paysage fantasmatique. Plus loin, telle une image rémanente, une autre peinture de plus petit format revisite ce même lieu obsédant.
En face, une installation aux contours troubles de Sophie Bueno-Boutellier et Niels Trannois tente de matérialiser les hallucinations d’une araignée “veuve noire”. Peinture, dessin, fils et divers objets trouvés projettent un réseau complexe d’apparitions provenant de la perception altérée de l’animal. Frontière entre deux mondes, une construction de Sophie Bueno-Boutellier dessine les contours d’un écran qui invite le visiteur à passer de l’autre côté du miroir, et entre ainsi en résonance avec une troisième œuvre abstraite de l’artiste, Perfect Mood, dans la salle opposée.
Enfin, dispersées dans l’exposition, les trois sculptures de Francesco Gennari ne renvoient pas seulement à la nuit comme expérience sensible mais en tant qu’approche cosmique voire métaphysique du monde, comme le suggère La Terre tourne le dos au soleil, fragile jaune d’œuf déposé sur le marbre noir. Par un dépouillement des formes caractéristique du travail de l’artiste, une autre œuvre plonge un ver dans les ténèbres d’un mausolée de bois. Dans Ascensione, reprenant ce choix de l’intériorité, quatre coquilles d’escargots soutiennent une plaque de verre dont la transparence initiale a laissé place à une inquiétante obscurité.
L’exposition “Visions nocturnes” propose de relire certaines pratiques contemporaines tendant vers l’abstraction – du minimalisme à l’arte povera – à l’aune du romantisme et du symbolisme. Plus qu’une exposition thématique, il s’agit ici d’accorder dans notre approche de l’art une place nouvelle à l’obscur, de manifester toute la complexité de l’œuvre en revendiquant son sens caché, fût-il irrationnel. Au revers des Lumières, ces “Visions nocturnes” envisagent un monde fait d’ambiguïté, ouvert au doute et dont la signification reste définitivement à décrypter.
Marianne Lanavère
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Autour de l’exposition
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13/03/2008
de 18h30 à 20h
“J’ai rendez-vous avec l’art” : Cycle de conférences “Parlez d’art autrement” sur l’art contemporain, animées par Connaissance de l’art contemporain : “L’art engagé a-t-il encore de l’avenir ? Art et politique : quand l’art bat le pavé”, auditorium de la Médiathèque Roger-Gouhier, Noisy-le-Sec. -
15/03/2008
(tous les samedis)
“Petite(s) musique(s) de nuit(s)” : parcours sonore dans l’exposition proposé par Jean-Philippe Dejussieu, directeur du Conservatoire municipal agréé de Musique et de Danse de Noisy-le-Sec. -
15/03/2008
de 16h30 à 17h30 (les vendredis)
Exposition en écho à “Visions nocturnes” d’œuvres de Jean-Marc Bustamante, David Claerbout, Lynne Cohen, Loris Gréaud, Thomas Ruff, Anri Sala, Patrick Tosani et Xavier Zimmermann appartenant à la collection du Frac Île-de-France, au lycée professionnel Théodore Monod, Noisy-le-Sec. -
20/03/2008
de 18h30 à 20h
“J’ai rendez-vous avec l’art” : Cycle de conférences sur la photographie, animées par Trans Photographic Press : “La photographie pauvre”, auditorium de la Médiathèque Roger-Gouhier, Noisy-le-Sec. -
22/03/2008
de 18h à 19h
Séance d’écoute : Composition sonore réalisée par la classe de Musique Assistée par Ordinateur de Robert Rudolf, du Conservatoire agréé de Musique et de Danse de Noisy-le-Sec, diffusée dans l’installation de Dominique Blais. -
03/04/2008
de 19h à 20h30
“Un temps pour l’art”
Cycle 3 : “Visions nocturnes”, ateliers d’analyse des œuvres en 3 séances, comprenant une visite du Musée Gustave Moreau, Paris. -
11/04/2008
de 17h45 à 00h15
“Nuit de la nuit”, soirée de films autour de la nuit : visite guidée de l’exposition “Visions nocturnes”, puis séances au Cinéma Le Trianon, Noisy-le-Sec. -
13/04/2008
de 14h à 19h
“Journée de la nuit” : programme autour de la nuit et de l’obscur (parcours sonore, atelier synesthésique, lectures, rencontre avec Dominique Blais). -
17/04/2008
de 18h30 à 20h
“J’ai rendez-vous avec l’art” : Cycle de conférences “Parlez d’art autrement” sur l’art contemporain, animées par Connaissance de l’art contemporain : “Portrait de l’artiste en jardinier. L’art et la planète : histoires naturelles”, auditorium de la Médiathèque Roger-Gouhier, Noisy-le-Sec. -
24/04/2008
de 18h30 à 20h
“J’ai rendez-vous avec l’art” : Cycle de conférences sur la photographie, animées par Trans Photographic Press : “Face à l’architecture”, auditorium de la Médiathèque Roger-Gouhier, Noisy-le-Sec. -
26/04/2008
de 18h à 19h30
Discussion autour des œuvres avec Baldine Saint Girons, professeur de philosophie de l’art et d’esthétique à l’Université Paris-X Nanterre. -
15/05/2008
de 18h30 à 20h
“J’ai rendez-vous avec l’art” : Cycle de conférences “Parlez d’art autrement” sur l’art contemporain, animées par Connaissance de l’art contemporain : “Sauvons les tournesols ! L’art, une énergie renouvelable”, auditorium de la Médiathèque Roger-Gouhier, Noisy-le-Sec.