Noyau dur et double foyer
Laura Lamiel a commencé son travail au début des années 1980 et n’a depuis cessé de l’amplifier et de le complexifier. En trente années, elle a construit une œuvre forte et systémique, sérielle, pure et lumineuse, empreinte d’absolu, dans laquelle l’angle et le blanc dominent. Très vite, elle a su déjouer cette structure conceptuelle en y intégrant des objets trouvés – caddies, gants, valises, rouleaux de moquette, liens de caoutchoucs, livres, lumières et câbles électriques… – apportant au noyau dur de son travail une dimension précaire, sombre, intérieure, traversée de contingences et de décisions intuitives. La multitude de ces éléments importés aux formes instables faisant irruption au sein d’espaces géométriques simples et réguliers évoque la rencontre de deux parangons artistiques : l’art minimal, au vocabulaire formel sobre et élémentaire et l’arte povera, aux matériaux pauvres et aux gestes éphémères. Ces deux traditions artistiques héritières du modèle du modèle du “cube blanc” – espace longtemps réputé exemplaire, neutre et intouchable –, ont interrogé conjointement son effet de rupture avec la continuité du réel sur le terrain de l’exposition. Laura Lamiel déjoue le rôle déréalisant du “cube blanc” et son effet de la mise à distance du contexte, en y entrant toute entière.
Probablement guidée par un souci d’autonomie, à la fois pratique, symbolique et esthétique, Laura Lamiel a très vite défini ses propres outils de monstration et de documentation. Pour exemple, ses “cellules” constituées de trois parois construisent autant de “cubes blancs” adaptés à la mesure de son corps et ouverts sur une face.
Espaces de monstration élémentaires, ils accueillent une infinité de compositions possibles, agençant des objets marqués par l’usure entre leurs parois immaculées aux surfaces réfléchissantes. A la manière de rayonnages sous la lumière crue des néons, ils saisissent chaque objet trouvé dans son évidence concrète et sollicitent une certaine attention aux détails et aux signes dont ils sont porteurs. Ces objets hors d’usages constituent entre eux un réseau sans hiérarchie de relations à la fois formelles, sensibles et culturelles. La largeur des parois d’acier émaillé (1.30 m) correspond à l’envergure des bras ouverts de l’artiste, capable ainsi les manipuler seule dans son atelier et de les assembler simplement à l’aide de serres joints et de cales en bois. Mais si les “cellules” semblent accueillantes, c’est avec une certaine parcimonie, à l’image des chaises ou tabourets trop fragiles ou trop encombrés pour être franchement occupés. Elles résistent à l’intrusion des corps des visiteurs, instaurant avec eux une relation plus hypothétique que concrète tant elles sont tendues par leur propre équilibre, donnant la priorité à la vue sur l’expérience physique. En cela, elles perpétuent le projet d’une vision triomphante du “cube blanc” mais l’infléchissent, précisant sans cesse cette vision par la dimension intime d’un œil solitaire, instable et conscient de sa position. Objets quasi-autonomes, les “cellules” construisent, à plusieurs, des intervalles réguliers, déjouant alors leur fonction première, celle d’exposer, pour s’exposer à leur tour en tant que sculptures à part entière, placées à distance du mur. Ainsi, l’intérieur d’une “cellule” se livre-t-elle entièrement à la vue dans une vision frontale tandis que son extérieur laisse voir les fragilités de son assemblage (surfaces brutes, serres joints et cales), rejouant ainsi ce jeu d’écarts entre la dynamique constructive du travail, presque positiviste et déréalisante (la volonté de tout montrer, sous une lumière éblouissante) et sa fragilité propre.
Alors que cette unité cellulaire entretient une relative indépendance du travail vis-à-vis de tel ou tel espace d’exposition, Laura Lamiel élabore un système propre de documentation, creusant un peu plus loin le sillon d’un régime d’autonomie de sa production. Photographiant autant dans l’atelier que dans l’exposition, elle ajoute aux volumes des “cellules” traités en façade, la planéité de l’image photographique. La prise de vue est partie prenante des compositions picturales et agencements des différents volumes, complexifiant encore le système combinatoire de ses installations. Ces photographies témoignent alors d’une étape du travail dans l’atelier, amplifiant des gestes passés. Par la mise en abîme des dimensions de l’espace concret et de l’espace représenté, elles troublent encore la vision des espaces construits, leur ajoutant une variable : celle d’une réserve inépuisable de gestes potentiels.
Avec la régularité d’un programme qui tend à l’épuisement des possibles, Laura Lamiel propose une expérience de l’instabilité. La part d’affect du travail perce au-delà de sa structure conceptuelle et donne au travail une tournure plus intime et intuitive. Ici, aucune œuvre ne semble solidement fixée, mais passée au filtre d’une vision à double foyer où peuvent se glisser les jeux de miroirs troubles et autres symétries décalées.
Le journal qui accompagne l’exposition est un essai visuel : composé majoritairement de photographies de l’atelier et de citations de ceux qui ont accompagné jusqu’ici le travail de l’artiste, il montre un processus en cours à l’atelier qui contribue à dévoiler les principes de l’exposition.
Émilie Renard
Productions
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Laura Lamiel
Chambre de capture, 2013Bois, plexiglas, divers éléments
180 x 150 x 150 cm
Courtesy de l’artiste et Marcelle Alix, Paris
Photo : Cédrick Eymenier 2013 -
Laura Lamiel
Qui parle ainsi se disant moi ? 2013Acier, miroir espion, divers éléments
190 x 150 x 150 cm
Courtesy de l’artiste et Marcelle Alix, Paris
Photo : Cédrick Eymenier 2013 -
Laura Lamiel
Sans titre 3, 2013Tirage baryté, recouvrement
123,5 x 153,5 cm
Courtesy de l’artiste et Marcelle Alix, Paris
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En savoir plus sur
Les formes des affects
Autour de l’exposition
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25/01/2014
de 15h30 à 19h30
Parcours Est #15,entre la Maison populaire (Montreuil), La Galerie et Les Instants Chavirés accueillis au 116 (Montreuil).
Rendez-vous à 15h30 à la Maison populaire.
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Gratuit sur réservation : resa@parcours-est.com -
08/02/2014
de 15h à 19h
Visites chuchotées par Marie Cantos, critique d’art, Isabelle Alfonsi et Cécilia Becanovic, galeristes et critiques d’art.