Un mur de sable vient de tomber
“On aimerait prêter au mot déformation le double sens qu’il peut revendiquer […]. Il ne devrait pas seulement signifier : changer l’aspect de quelque chose, mais aussi : changer quelque chose de place, le déplacer ailleurs.”1 Ce double sens de la déformation, énoncé par Sándor Ferenczi en 1913, peut s’appliquer à cette exposition de Virginie Yassef tant elle y développe des formes transitoires qui sont les effets ou bien de transformations ou bien de transferts d’un contexte à un autre.
“Un mur de sable vient de tomber” engage d’emblée dans une perspective narrative où quelque chose s’est passé, à l’instant, sous nos yeux, presque sous nos pieds. Si d’après ce titre, l’événement est advenu de manière soudaine dans l’exposition, il se développe suivant une série de lentes métamorphoses : dans la vidéo Alloy (2007), un tas de petits volumes géométriques prend, sous les gestes patients d’un enfant, la forme d’un monument à l’équilibre précaire ; ailleurs, sur une scène, des sculptures deviendront autant d’accessoires d’un spectacle, voués à se transformer sous les manipulations habiles d’un autre enfant ; enfin, ce spectacle est la première étape d’un second qui aura lieu à La Ferme du Buisson, où l’enfant aura achevé sa mutation et sera alors devenu un chien…
La déformation, au sens de déplacement, peut qualifier le “salon de lecture” dans son ensemble : de son mobilier, à l’édition qui y est donnée à lire, aux Scénarios Fantômes (2003-2012). Les fauteuils sont les répliques de meubles à monter soi-même selon les plans conçus par Gerrit Rietveld en 1934 et intitulés crates (caisses), soulignant par là leur propension à circuler et leur qualité reproductible. Il s’agit là d’une forme de réactualisation autorisée, d’une citation historique marquée qui se serait adaptée à l’usage de ce “salon de lecture”. L’édition est aussi entièrement composée de citations isolées, faits relevés dans des journaux : de courtes phrases qui font immédiatement image flottent dans les larges pages blanches d’un journal, marquant ainsi l’absence du contexte d’origine dont elles sont extraites de manière irréversible. Autre forme de flottement, autre effet de recadrage : les Scénarios Fantômes – qui fonctionnent par séries de une, deux ou trois photographies – postulent, par leur titre commun, l’hypothèse d’un récit qui articulerait entre elles les quelques images qui les composent, sans autre indication d’un quelconque sens de lecture.
À ces formes de suspension du sens répondent des formes de suspensions physiques cette fois, qui touchent les sculptures : qu’elles soient régies par des forces d’attraction magnétique ou par des systèmes de contrepoids – comme pour la sculpture aérienne Airedificio (2007) – toutes génèrent des effets illusionnistes liés à des phénomènes physiques de forces contraires. L’instabilité du mur de sable qu’on imagine s’être répandu au sol en une infinité de grains, touche ainsi l’ensemble de l’exposition. Par ces suites de glissements, d’états transitoires, les œuvres demeurent indéterminées, à venir, en suspens, à l’image de la figure de l’enfant qui agit ici comme une promesse, un facteur de mobilité et de déformation, lui-même en mutation vers l’animal. Le phénomène de transition s’étend à l’échelle de l’exposition à La Galerie puisqu’elle est une première étape pour une autre exposition, à La Ferme du Buisson (du 21 avril au 27 juillet 2013) et porte ainsi, comme en sous-texte, la mention “à suivre…”.
Émilie Renard
1. Correspondance Freud – Ferenczi, lettre du 23.06.1913, Paris, ed. Calmann-Lévy, 1992, p. 524.
Productions
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Virginie Yassef
Scénario fantôme n° 86, 87, 88, 89, 90, 2004 – 2012Épreuves chromogènes encadrées
6 x 9 cm chacune
Courtesy de l’artiste et de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Paris -
Virginie Yassef
Que faire des tissus de mammouth retrouvés en 1994 ? (224), 2012Fauteuils et table en sapin
Édition de 1000 exemplaires
Dimensions variables
Courtesy de l’artiste et de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Paris
Photo : Aurélien Mole 2012 -
Virginie Yassef
On n’a jamais vu de chien faire, de propos délibéré, l’échange d’un os avec un autre chien, 2012Peinture murale, dessin mural d’Axel Mormin, plumes de paon, peaux de vache, plaques de métal, peinture époxy, aimants, polystyrène, résine acrylique, porte-manteau, peau de chien
Dimensions variables
Avec le soutien de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Paris
Courtesy de l’artiste et de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Paris
Photo : Aurélien Mole 2012 -
Virginie Yassef
Grille d’aération, 2012Technique mixte
16 x 41 cm
Courtesy de l’artiste et de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Paris
Photo : Aurélien Mole 2012 -
François Olislaeger
Titre, 2012Gouache sur papier
27 x 21 cm
Photo : Aurélien Mole 2012
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Autour de l’exposition
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01/12/2012
Du 1er décembre 2012
au 9 février 2013“Ricochets”, balade noiséenne d’œuvre en œuvre.
Exposition d’œuvres de la Collection départementale de la Seine-Saint-Denis en écho à l’exposition de Virginie Yassef à La Galerie.
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Dans les équipements culturels et le Centre communal d’action Sociale de Noisy-le-Sec.
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11/01/2013
20h30
Soirée de projections proposée par Virginie Yassef
Avec L’Étrange Créature du lac noir (1954), de Jack Arnold dans sa version restaurée en 3D. En début de séance, diffusion de films de Virginie Yassef : WOW (2005, 6 min) et Et le mur lui obéit (2004, 4 min 30).
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Cinéma Le Trianon
71 Place Carnot
93230 Romainville -
26/01/2013
18 h à La Galerie
(1ère partie)
+ Dimanche 2 juin à 16 h à la Ferme du Buisson
(2ème partie)“On n’a jamais vu de chien faire, de propos délibéré, l’échange d’un os avec un autre chien”, un spectacle mutant conçu par Virginie Yassef.