Bertrand Lamarche
La villa fin XIXe qui abrite le centre d’art semble à nouveau habitée. Dans certaines pièces du rez-de-chaussée, des bruits feutrés de mécanismes se font entendre. Un sifflement de tempête provient d’un tourne-disque déraillant. Divers objets, à mi-chemin entre machineries et organismes, animent le lieu de troublantes présences. Ici un tore en aluminium se retourne sans fin sur lui-même, là une structure conique s’auto-filme. Ailleurs, une maquette de ville paraît se compléter d’elle-même au fur et à mesure de l’exposition, mais en dehors de toute chronologie.
Au-delà d’un scénario fantastique, Bertrand Lamarche propose plus profondément une série d’expériences qui témoignent d’une métamorphose permanente à l’œuvre. Ces dispositifs, bien qu’ils semblent dotés d’une vie propre, ne sont pas seulement à considérer comme des sculptures cinétiques, mais davantage pour les mutations formelles, corporelles et identitaires qu’ils engendrent. La plupart de ses œuvres puisent dans un vocabulaire de la géométrie et de l’abstraction, qui s’étend des formes platoniciennes à celles de l’architecture moderne (cônes, tores, ellipses, spirales…), figures qu’on retrouve en thermodynamique et en météorologie1 et propices à la transformation. D’autres œuvres récentes accentuent cette instabilité de la forme ; dans Réplique, des images qu’on pourrait qualifier de nuageuses, radiographiques ou encore spectrales, n’appartenant pas à quelque corpus défini, se font et se défont sur le mur. Issu d’un jeu de pressions concaves et convexes sur du papier-miroir, ce déploiement hypnotique progressif joue de notre faculté à identifier inconsciemment des formes. Finalement, les œuvres de Bertrand Lamarche matérialisent des phénomènes de projection, physique (lumière, vidéo) mais surtout mentale.
Ce qui précisément dérange dans ce travail, ce n’est pas tant l’analogie que nous créons entre ces formes et tout ce que nous pouvons mentalement y projeter (organes, sphincters, reptiles…), mais plutôt le fait qu’elles s’auto-génèrent, se transforment et se déforment devant nos yeux. C’est bien ce spectacle-là qui nous trouble, celui de la métamorphose permanente à laquelle nous assistons “en direct”. Ces formes ne sont pas diffusées a posteriori, mais elles se dégradent ou se subliment en temps réel, à travers des dispositifs en circuit fermé – boucles qui rappellent l’effet miroir des premières installations vidéo à la fin des années 60. Simulacres sans trucage, puisque toute la technique est laissée visible, la simplicité de leur mise en œuvre contraste avec leur puissance d’évocation. Elles enregistrent la réalité pour en livrer, à l’image, une version altérée, tantôt dégradée par la décomposition lente de leur mouvement perpétuel, tantôt amplifiée par une mise en abîme plurielle. On assiste à la représentation en acte d’un décalage du réel, parfois jusqu’à son dédoublement, en cet “autre” fictionnel, fantasmé.
Si la matérialisation de ce passage vers un monde autre rejoint incontestablement la science-fiction, elle s’inspire surtout d’architecture et d’urbanisme. Les œuvres de Bertrand Lamarche évoluent entre modèles réduits, maquettes et prototypes, avec un jeu d’échelles et une pluralité de points de vue qui accentuent notre sentiment de vertige spatial. Une démarche poreuse, à la jonction de différentes histoires de l’art, où la pensée d’une ville peut croiser autant le champ des recherches optiques que celui de l’expanded cinema, pour être éventuellement relue à travers le prisme de la psychanalyse, des gender studies et des problématiques transgenres – réflexions qui parcourent l’ensemble de l’œuvre, bien que de façon souterraine. Maintenant en équilibre la représentation d’identités en mutation et la retenue formelle, dans une position entre fascination assumée et distanciation, le travail de Bertrand Lamarche parvient, avec une subtilité rare, à donner forme à la question de la subjectivité.
Marianne Lanavère
1. The Funnel, qui donne son titre à l’exposition, désigne la formation d’une tornade.
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Autour de l’exposition
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09/12/2008
“Hospitalités 2008”, programme vidéo présenté dans les lieux de Tram, réseau art contemporain Paris/Ile-de-France
Film proposé par La Galerie : PS : Jerusalem de Katinka Bock, 2003. -
15/01/2009
de 19h à 20h30
“Un temps pour l’art” : ateliers d’initiation à l’art contemporain à partir des œuvres de l’exposition. -
17/01/2009
de 18h à 21h
Lancement du catalogue monographique de Bertrand Lamarche, The Funnel, en partenariat avec les éditions HYX. -
31/01/2009
de 18h à 19h30
Rencontre autour des œuvres avec Bertrand Lamarche et Philippe-Alain Michaud, conservateur chargé de la collection des films au Musée national d’art moderne – Centre Georges Pompidou, Paris.