Performance annulée de Tiphaine Calmettes et Bastien Mignot : “Franchir le seuil”

08/12/18 | 17h00

Avec le chorégraphe Bastien Mignot, l’artiste Tiphaine Calmettes devait inviter les publics de La Galerie à ouvrir les perspectives de l’espace d’exposition pour engager un dialogue avec les intérieurs/extérieurs du lieu et les gestes qui découlent de leurs usages.
Une imperceptible chorégraphie du quotidien se dévoilait, mettant en relation les œuvres de l’artiste et l’aménagement urbain qui entoure le centre d’art.

 

Bastien Mignot

Né au début des années 80 à Paris.
Il pourrait être danseur, acteur, metteur en scène, performeur ou chorégraphe. On pourrait dire de son travail artistique qu’il consiste en des réinventions de rituels. Les mondes invisibles, les ruines, le paysage et la disparition en sont les principaux champs d’exploration.

 


ANNULATION

En raison des circonstances, la performance Franchir le seuil de Tiphaine Calmettes et Bastien Mignot prévue à 17h est annulée. L’exposition “Le Pouvoir du dedans” reste néanmoins accessible aux horaires d’ouvertures, de 14h à 19h.

 

FRANCHIR LE SEUIL

« L’intégrité signifie la cohérence ; nous agissons en accord avec nos pensées, nos images, nos discours ; nous maintenons nos engagements. Le pouvoir-sur peut être détenu sans intégrité, mais le pouvoir-du-dedans ne le peut pas. Car le pouvoir-du-dedans est le pouvoir de diriger l’énergie – et l’énergie est dirigée par les images dans nos esprits et nos paroles, aussi bien que par nos actions. Si l’ensemble est cohérent, l’énergie flue librement dans la direction que nous choisissons et nous avons du pouvoir. Si ce que nous faisons est aux antipodes de ce que nous disons et ce que nous pensons, alors l’énergie se bloque ou dérive. Si je pense et je dis que je déteste la pollution, et que je passe à côté des canettes de bière à mes pieds en les laissant, l’énergie de mes sensations se dissipe. Au lieu de sentir mon propre pouvoir de faire quelque chose à propos des ordures, aussi petite que soit cette chose, je me sens impuissante et le deviens davantage ».

Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique [1982], pp. 81-82 (ouvertes au hasard). Éditions Cambourakis, Paris, 2015.

 

Je cherche du regard la première poubelle qui croisera mon chemin, afin de jeter le ticket de caisse qui se trouve dans ma poche. Monoprix, lait d’amandes bio sans sucre. Pourtant, dans mon sac, il y avait aussi de l’avocat, du hareng au poivre, un mélange d’oléagineux augmenté exotique, des graines de courges. RSA suspendu depuis quatre mois, papiers envoyés, procédure en cours de traitement ; dommages collatéraux : plus de CMU, de solidarité transport, de tarifs réduits.

Une, deux, trois poubelles sans sac. Je finis par comprendre. Dans le métro, encore des personnes sur les voies, hier c’était la 9 aujourd’hui la 4. Ouf, c’est pas la mienne, je vais arriver à Noisy à l’heure. Dans le RER, je me remets dans le travail, repasse le scénario travaillé jusque-là. Il y a un truc qui sonne faux.

 

FRANCHIR LE SEUIL

– Il ferme les yeux et il rentre
– Elle ferme les yeux et entre
– Sur le perron
– Sur le perron
– A droite je vois un bosquet d’armoise, des fleurs de tournesol accrochées au tronc du bouleau dénudé, deux mecs bière à la main et clope au bec. Devant moi, la porte fermée, je sonne.
– A droite le vide, je chute, longtemps. En bas, j’atterris sur un long tapis qui serpente dans le couloir, tout au fond une porte s’entrouvre.
– Tu sens l’air qui monte ? Dehors ça chahute, des esprits échauffés comme un écho lointain qui raisonne. Ça sent le brûlé, difficile de démêler les odeurs. Comme un feu de forêt qui déborde sur la ville. Il n’y avait pas de raison pour que ce soit que les arbres qui trinquent.

Ça se consume jusqu’au bas ventre, plexus solaire grand ouvert, avive le foyer. Ça ne pouvait pas en rester là.

Connexion racinaire, le sol tremble.
Tu sens ?
J’avais froid, ma bouillotte m’a brûlée, j’avais faim je me suis étouffée.
Et ce café qui ne passe pas. Cendrier froid dans la bouche, salive pâteuse, ça colle aux dents.
Et la tempête dehors. Il faut dire qu’on était parti avec ces histoires de déluges.
Je suis en bas, tu m’entends ? Tu m’entends, hein dis ? Crier depuis tout à l’heure ?
J’ai perdu ton odeur, j’ai perdu toute odeur. Les mollets dans la flotte, les pieds dans la boue. Je vois une lumière qui tourne et qui emporte ma tête. Haut le cœur, ça pue la pisse, la merde. Depuis combien de temps ça macère ?
Tu es où toi ? Tu m’entends là haut ? C’est plus beau là haut ? Plus clair, plus bleu, plus blanc, plus lumineux ?
On avait vu l’eau. On avait vu cette lumière rouge.  On avait parlé de catastrophe et de vortex. On voulait parler d’énergie, de considération et de connexion. Et quand le vent se soulève, il ne fait pas de distinction. Emporté dans l’aspiration, cette fois, tous à la même enseigne.

 

FRANCHIR LE SEUIL

Il y avait une chanson à répondre faite de gestes de mains
Il y avait un chapelet de rituels d’accueil
Du feutre
Des mains qui se touchent
De l’argile
Et les vasques déplacées par les fantômes
Il y avait l’écoute de l’espace, du dedans, de l’invisible

Il était question de seuils comme souvent
De basculer, de se laisser agir par

Demain, nous ne franchirons pas le seuil du centre d’art pour activer l’espace
Car aujourd’hui, l’écoute de l’espace, du dedans, de l’invisible, du visible criant nous appelle dehors.

 

Tiphaine Calmettes et Bastien Mignot